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 4 pages d'articles et de pages Web récoltés sur l'affaire Pere-noel.fr
 condamnation à de la prison avec sursis pour des propos antisémites répandus sur Internet
Documents liés
 L'analyse de la décision Pere-noel.fr (TGI Lyon 28 mai 2002)

 Loi du 29 juillet 1881 modifiée, sur la liberté de la presse
 Loi du 30 sept. 1986, relative à la communication audiovisuelle
 Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, relative à la communication audiovisuelle
 Art. 700 du nouveau code de procédure civile
Sur les forums :
En sens contraire pour les forums :
 TGI Lyon 28 mai 2002, Pere-noel.fr
 TGI Toulouse 5 juin 2002, Domexpo (Ideesmaison.com)
 Cour de cassation, crim. 8 déc. 1998, Procureur gal c/ R.
Dans le même sens :
 TGI Paris référé, 18 février 2002, Telecom City
(Affaire Boursorama)


 Extraits de la décision du Conseil constitutionnel n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000 concernant les dispositions relatives à la responsabilité des prestataires techniques
Tribunal d'instance de Puteaux
Jugement du 28 septembre 1999
Axa Conseil Iard et Axa Conseil Vie c/ Monsieur C. M., Monsieur C. S., Président du Conseil d'Administration de la société Infonie

Demandes :

  • 500 000 F,
  • publication du jugement sur sites web, Les Echos, Internet Professionnel sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, chaque publication jusqu'à 50 000 F HT,
  • 80 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

MOTIFS DE LA DECISION :


Sur la demande tendant à voir dire et juger que les allégations contenues sur les pages personnelles « Comment AXA prend les gens pour des cons » constituent une diffamation publique telle que prévue par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881

La poursuite des délits prévus et punis par la loi du 29 juillet 1881 est subordonnée à l’existence d’un élément de publicité. L’article 23 de ladite loi, modifié par la loi du 1er juillet 1972, énumère les différents modes de publicité, la loi du 13 décembre 1985 y ayant ajouté «  tout moyen de communication audiovisuelle ».

Il convient donc de rechercher, à titre préalable, si les écrits incriminés ont été diffusés par un moyen de communication audiovisuelle.

L’article 2 alinéa 2 de la loi du 30 septembre 1986 a défini la communication audiovisuelle comme « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée ».

Il est établi que l’Internet, réseau sur lequel ont été diffusés les écrits émanant de M. C. M. est un procédé de télécommunication.

Il y a correspondance privée lorsque le message est exclusivement destiné à une ou plusieurs personnes, physique ou morales, déterminées et individualisées. Or, en l’espèce, M. M. n’a pas utilisé le courrier électronique, qui permet l’envoi d’un message d’une adresse E-mail vers une autre adresse E-mail, mais un service accessible à des personnes inconnues et imprévisibles de sorte que le message litigieux ne peut, en aucune façon, être considéré comme une correspondance privée.

Il se déduit de cette constatation et des explications de la société INFONIE selon laquelle l’hébergement des pages personnelles consiste, après le stockage, à acheminer les pages personnelles vers l’ordinateur de tout utilisateur d’Internet qui en fait la demande que la condition relative à la mise à disposition du public ou d’une catégorie de publics est également remplie.

Le caractère public du message de M. C. M. se trouve par conséquent établie.

La diffamation est l’allégation ou l’imputation d’un fait déterminé de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne déterminée, faite de mauvaise foi.

Le contenu du message rédigé par M. C. M. est le suivant :

En titre: " Comment AXA prend les gens pour des cons "

" Depuis le rachat de la société UAP par AXA pour le franc symbolique, rien ne va plus. Non contente d'avoir démantelé en quelques mois le plus beau fleuron de l'assurance française, la direction d'AXA persévère à se foutre de la gueule de ses salariés comme de ses clients.

Cette page a pour vocation de dénoncer les pratiques de gangster d'A. avec un zoom sur sa filiale française de vente par réseau, AXA Conseil."

Ce texte est suivi du logo d'AXA Conseil, dans lequel la barre oblique prolongeant habituellement le X du mot AXA est remplacée par une épée, le terme " Conseil " étant substitué par l'expression " Qu'on saigne ".

Le texte se poursuit ainsi :

" AXA prend ses salariés pour des cons " " Après avoir réformé le plus grand réseau commercial salarié de France, le réseau S de la société UAP, la direction enfonce le clou et se déplace en province pour se moquer de ses salariés : morceaux choisis du discours de M. François P., Directeur Général, et de M. Alain R., Directeur commercial. La réforme du réseau S ou le retour au moyen-âge vu par AXA Morceaux choisis du discours du 19/10/98 par la direction d'AXA-Conseil "

" AXA prend ses clients Auto pour des cons. L'article A 121 -1 du code des assurances donne le texte réglementaire de la clause type de réduction-majoration, dite aussi clause de bonus-malus. Son intérêt est de poser les règles de la variation de la prime assurance auto en fonction des sinistres, quelque soit la compagnie d'assurance.

AXA Conseil fait fi du code des assurances et applique sa propre règle de majoration. Explications, preuve à l'appui. "

"AXA prend ses clients Vie pour des cons.

AXA Conseil est fière de vous présenter son nouveau contrat d'assurance-vie EURACTIEL.

Bonne affaire ou piège à cons ? Ecrivez nous. "

" Arnaque à l'assurance Auto. Comment AXA Conseil. calcule un tarif auto ;

La prime de base est composée de deux parties -. une première somme basée sur 'les risques " responsabilité civile-dommages ", une seconde somme basée sur les risques " incendie et vol ". Chacune de ces sommes est majorée indépendamment du coefficient de bonus en fonction de sinistres intervenus dans les années précédentes.

Ainsi, pour la prime " RC/Dommages ", la prime peut être majorée jusqu'à 40% et la prime "incendie-vol" jusqu'à 72%, indépendamment du bonus (qui par ailleurs ne varie pas en cas de vol ou d'incendie). "

Suivent deux exemples et " En conclusion "

" Mais à quoi sert le coefficient de bonus-malus chez AXA ?

Ainsi, une personne qui a 50% de bonus depuis plus de trois ans verra sa prime majorée alors même que son bonus restera à 50%. Preuve donc qu'AXA se paie la tête de ses clients. "

Figurent ensuite la clause de réduction-majoration (article A 121-1 du code des assurances) et des tableaux reprenant par extrait le tarif AXA Conseil.

Le titre du document et ses sous-titres ainsi que la deuxième phrase du texte, à connotation grossière, impute à AXA Conseil d'afficher le plus grand mépris à l'égard de ses salariés et de sa clientèle.

L'expression " pratiques de gangsters d'AXA" est une accusation d'une extrême gravité qui met en cause la probité d'AXA et laisse entendre que les sociétés AXA Conseil se livrent à des pratiques pénalement répréhensibles.

La suite du texte accuse AXA de tromper ses salariés de manière éhontée et de mener une politique pour le moins archaïque dans sa gestion de la réforme du réseau S.

Le document mentionne ensuite que AXA Conseil IARD ne respecte pas les dispositions du code des assurances et trompe ses clients, ces accusations étant portées dans un langage trivial, assimilant la pratique d'AXA Conseil IARD. à de l'escroquerie.

L'attaque vise ensuite AXA Conseil Vie, laissant entendre une nouvelle fois de manière grossière que cette société trompe et abuse ses clients.

En matière de diffamation, la mauvaise foi est présumée.

Cette présomption peut néanmoins être renversée si l’auteur des propos diffamatoires justifie d’un motif légitime d’information, d’une enquête sérieuse, de prudence dans l’expression et d’absence d’animosité personnelle.

La prudence dans l'expression et l'absence d'animosité personnelle ne caractérisent pas, pour le moins, les propos contenus dans le message litigieux.

M. C. M., en ses seules qualités de salarié d'AXA et de citoyen, ne saurait véritablement se prévaloir d'un devoir d'informer à l'instar d'un journaliste et, s'il entendait poursuivre un but d'information, il aurait dû le faire avec plus de modération.

Le défendeur tente de se retrancher à cet égard derrière des éditions d'un bulletin syndical intitulé "Les Brèves du Syndicat National des Producteurs d'assurances et de capitalisation-Force Ouvrière " dans lesquels la réforme du " S " est violemment dénoncée. Ainsi, il y est imprimé : " Incapable, par incompétence, d'expliquer la réforme, la hiérarchie, avec au moins l'aval de la direction, a appliqué des méthodes de gangsters ".

Cependant, le ton des écrits n’est jamais aussi grossier que celui employé sur l’Internet, étant observé que des critiques même virulentes, sont davantage admises lorsqu’elles ont lieu dans un contexte socioprofessionnel, pour la défense de principes syndicaux.

(…)

Sur la demande visant à voir déclarer M. C. S., Président du conseil d’administration de la société INFONIE, coupable en qualité d’auteur principal de diffamation publique

Il résulte de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 qu’en cas de diffamation commise par un moyen de communication audiovisuelle, le directeur de la publication est poursuivi comme auteur principal lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public et qu’à défaut d’une telle fixation, l’auteur et à défaut, le producteur est poursuivi comme auteur principal.

Il est d’ores et déjà acquis que l’édition de pages personnelles pouvant être consultées sur le réseau de l’Internet est un moyen de communication audiovisuelle.

Les demanderesses en déduisent que le fournisseur d'hébergement doit être assimilé au directeur de la publication.

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 93-2 alinéa 1 de la loi de 1982, « tout service de communication audiovisuelle est tenu d’avoir un directeur de la publication », qui est, « lorsque le service est fourni par une personne morale », « le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, suivant la forme de la personne morale ».

L’hébergement consiste à conserver en mémoire des informations et à connecter un site à l’Internet.

Le fournisseur d’hébergement est donc généralement défini comme un fournisseur de service de stockage et de gestion de contenus permettant à un créateur de pages personnelles de rendre ces pages accessibles au public.

Dès lors, il apparaît bien que le fournisseur d'informations est le créateur de pages personnelles, le fournisseur d'hébergement ne faisant que participer à l'acte de diffusion par les moyens techniques qu'il met à disposition du créateur de pages personnelles.

Le directeur d’un service de communication audiovisuelle est celui qui peut exercer son contrôle avant la publication, celui qui a la maîtrise du contenu du service.

Or, il résulte des énonciations précédentes que le fournisseur de contenus informationnels, dans le cadre de l’hébergement de pages personnelles, est le créateur de la page personnelle. Le fournisseur d’hébergement n’intervient en aucune façon sur l’émission des données, il ne peut pas même en déterminer le thème ni le sujet. Il ne peut non plus ni sélectionner, ni modifier les informations avant leur accessibilité sur l’Internet.

Ce dernier point est mis en évidence par le procès-verbal de constat établi le 6 avril 1999 par Maître VENEZIA, huissier de justice à Neuilly sur Seine, en présence de M. DONIO, expert en informatique et techniques associées agréé par la Cour de cassation. En effet, il ressort de ce constat que le transfert de la page personnelle créé par l'abonné à partir de son ordinateur vers le répertoire mis à sa disposition est effectué à une vitesse électronique extrêmement rapide, d'une durée de l'ordre de quelques centièmes de secondes ou dixièmes de seconde de sorte que le fichier transféré par l'abonné est accessible sur le réseau Internet immédiatement après la fin de son transfert par l'abonné.

Dans ces conditions, il apparaît que le fournisseur d’hébergement n’a aucune maîtrise sur le contenu des informations avant que celle-ci ne soient disponibles sur l’Internet. Il s’en déduit que le fournisseur d’hébergement de pages personnelles ne peut être considéré comme un directeur de publication.

De plus, la responsabilité du directeur de la publication ne peut, aux termes de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, être recherchée que si le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication public.

Cette condition rejoint l'aspect précédemment évoqué lié aux caractéristiques techniques du transfert du fichier créé par l'abonné et son accessibilité sur le réseau Internet.

S'il est vrai que la société INFONIE, dans son offre d'hébergement de pages personnelles, précise que la création d'un répertoire personnel peut prendre environ 24 heures, il est tout aussi clairement établi au vu du constat effectué par Maître VENEZIA. qu'une fois le traitement informatique d'ouverture du site personnel de l'abonné effectué, il n'existe aucun délai entre l'opération consistant pour l'abonné à transférer un fichier créé par lui et son accessibilité sur Internet. Ce transfert se produit de manière automatique. M.DONIO précise que le fichier modifié ou ajouté sur le site de l'abonné n'est pas stocké ou fixé par la société I. avant sa mise en ligne par l'abonné sur les pages personnelles.

Ce constat est conforme à celui fait dans un commentaire d'arrêt, versé aux débats par les demanderesses, selon lequel : " Il n'est ici qu'une seule certitude ; il n'est pas, pour l'heure, possible de contrôler en temps réel les contenus hébergés. "

A défaut de fixation préalable, la responsabilité de M. S. en tant que directeur de la publication, ne peut être engagée.

L’article 93-3 susvisé prévoit qu’en l’absence d’une telle fixation, « l’auteur et, à défaut le producteur est poursuivi comme auteur principal. » Ce texte édicte donc une responsabilité alternative et non cumulative entre l’auteur et le producteur, laquelle privilégie la responsabilité de l'auteur, le producteur du service ne pouvant être poursuivi comme auteur principal qu’à défaut de poursuites contre l’auteur du message illicite.

Or, en l'espèce, l'auteur des propos diffamatoires est parfaitement identifié et se trouve attrait dans la cause de sorte que M. S., à supposer qu'il ait la qualité de producteur, ne peut être considéré comme l'auteur principal de la diffamation.

Dès lors, il convient de débouter les requérantes de leur demande tendant à voir déclarer M. S. Président du Conseil d’administration de la société INFONIE, coupable en sa qualité d’auteur principal, de diffamation publique envers particuliers.

Sur la demande visant à voir déclarer M. M. coupable en qualité de complice de diffamation publique envers particuliers en application des dispositions de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982

La responsabilité de M. M. n’est recherchée par les demanderesses qu’en sa qualité de complice et non comme auteur principal.

M. SAPET n’ayant pas été jugé auteur principal de la diffamation, M. M. ne peut être qualifié de complice de la diffamation.

Cette demande sera donc également rejetée.

(…)

  • incompétence au profit du tribunal de grande instance sur les demandes subsidiaires de dommages-intérêts (plus de 50 000 F),
  • 10 000 F attribués à M. S. et à INFONIE au titre de l’article 700 NCPC,
  • dépens à la charge d’AXA.


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Légende

L'orthographe, la ponctuation, la typographie et la mise en page ont été conservées tant que de possible.

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Le retrait souligne le caractère factuel du passage.

mise en ligne le 9 août 2002
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