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Tribunal de grande instance de Paris
17ème chambre - Chambre de la presse
3 juillet 2002

MM. A et L. S. c/ Association SOS Principes AFER et M. G.
extrait

Motifs du tribunal

Sur l'exception de prescription

Attendu que l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que “les actions fondées sur une atteinte à la présomption d'innocence commises par l'un des moyens visés à l'article 23 se prescriront par 3 mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité” ;

Attendu que, selon une jurisprudence désormais établie et sans conteste transposable aux dispositions de l'article 65-1, “lorsque des poursuites (…) sont engagées à raison de la diffusion sur le réseau Internet d'un message figurant sur le site, le point de départ de la prescription de l'action publique prévu à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publicité, cette date étant celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau” (Cass.Crim, 16 octobre 2001) ;

Attendu que, comme l'a également rappelé la jurisprudence, s'il appartient au demandeur d'apporter la preuve du caractère public du message qu'il poursuit, c'est au défendeur, qui excipe de la prescription de l'action, de justifier du bien fondé de son exception en apportant la preuve que le premier acte de publication du message litigieux est antérieur de plus de 3 mois à l'engagement de l'action ;

qu'à défaut de tels éléments de preuve; il convient de retenir, comme date de publication, celle avancée par le requérant ;

Attendu qu'en l'espèce, le message incriminé à fait l'objet d'un constat d'huissier en date du 14 mai 2001 ;

que les demandeurs prétendent que ledit message a été mis à disposition des utilisateurs du réseau à compter du 15 avril et produisent, au soutien de cette allégation, un courrier de Monsieur N., fondateur de l'association poursuivie, annonçant l'ouverture du site internet litigieux à cette date  ;

que les défendeurs, demandeurs à l'exception tirées de la prescription de l'action, soutiennent, quant à eux, que le message incriminé a été mis à disposition du public le 6 mars 2001, soit plus de 3 mois avant la délivrance de la première assignation en référé, signifiée le 7 juin suivant, qui a interrompu la prescription ;

Attendu que ces derniers produisent à titre d'élément de preuve un rapport de consultation du site litigieux du mois de mars 2001 ;

Attendu cependant que, si le rapport de ce serveur statistique, qui a pour objet de recenser les internautes et de mesurer ainsi la fréquentation du site, peut permettre, le cas échéant, d'attester de l'existence de ce site à cette date, il ne permet nullement d'établir, à défaut d'indication de son contenu, que le message litigieux a été mis à disposition des utilisateurs du réseau à la même date ;

que soutenir le contraire, comme le font les défendeurs, revient à confondre la date d'accessibilité du site et la date de mise en ligne du texte, et, partant, le support du message et son contenu ;

Attendu qu'a fortiori, aucun des autres éléments ou indices apportés par les défendeurs, tel le communiqué de presse du 9 janvier 2001 annonçant l'ouverture du site le 15 février suivant ou le fait que tous les actes de procédure cités dans le message litigieux sont antérieurs au 6 mars, ne constitue la preuve irréfutable de ce que ce message a été mis en ligne pour la première fois à cette dernière date ;

Attendu que les défendeurs n'ayant pu rapporter la preuve qui leur incombe, il convient de rejeter l'exception de prescription ;

Sur l'atteinte à la présomption d'innocence

Attendu que l'article 9-1 du Code civil a introduit en droit interne une protection particulière de la présomption d'innocence, renforçant le principe déjà inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;

que l'atteinte à la prescription d'innocence visée à cet article consiste à présenter publiquement, avant toute condamnation, une personne comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire ;

Attendu que la protection accordée à l'individu impliqué dans le déroulement d'une procédure pénale doit néanmoins se concilier avec une liberté fondamentale, qui est celle de communiquer et de recevoir des informations ;

qu'il importe, dès lors, de limiter la mise en œuvre de ces dispositions au cas où, par sa forme et les indications qu'elle fournit, la relation d'une affaire conduit inéluctablement le public à acquérir la certitude de la culpabilité de la personne citée à cette occasion ;

Attendu qu'en l'espèce, contrairement à ce qu'à jugé, en l'absence des défendeurs, le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris dans son ordonnance de référé du 15 juin 2001 - laquelle n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée - et contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, le site internet incriminé, et, par conséquent, le tract qui en est la reprise fidèle, ne comportent aucune affirmation prématurée, explicite et non équivoque, d'une conviction tenant pour acquise la culpabilité de Messieurs A. et L. S. pour les faits d'abus de confiance qui sont l'objet de la procédure d'instruction en cours, mais se bornent à évoquer l'existence d'indices sérieux du bien-fondé de la plainte ;

qu'en effet, les messages incriminés, comme le font justement valoir les défendeurs, se limitent à la reprise des arguments développés dans la plainte avec constitution de partie civile déposée en juin 1999 et à la relation des différents actes de procédure intervenus depuis lors ;

Attendu que l'on ne saurait, au cas présent, reprocher aux défendeurs d'avoir affirmé que les actes de procédure ainsi diligentés - ouverture d'une information judiciaire, perquisitions, mise en examen, rejet d'une requête en récusation du juge d'instruction assorti d'une forte amende, imposition d'un strict contrôle judiciaire, maintien en liberté au prix d'une caution très élevée, arrêts de la Chambre de l'Instruction rejetant la mainlevée du contrôle judiciaire - venaient de confirmer le sérieux de la plainte initiale, quand bien même le récit de la procédure est assorti de divers commentaires tendant à renforcer le crédit à accorder à l'accusation dont les demandeurs sont l'objet ;

qu'il y a lieu de rappeler, à ce sujet, que l'on ne peut exiger d'une partie civile, nécessairement animée d'un parti-pris et convaincue de la culpabilité des personnes visées par sa plainte, de faire preuve, lorsqu'elle évoque la procédure dont elle a eu l'initiative, de la même retenue qu'impose l'article 9-1 de Code civil aux journalistes, censés transmettre une information objective et documentée ; qu'au demeurant le lecteur lui-même est en mesure d'apprécier cette inéluctable absence de neutralité ;

qu'eu égard aux garanties dont il convient ainsi d'assortir la liberté d'expression des victimes, on ne peut considérer que les défendeurs ont, en l'espèce, fait un usage abusif de cette liberté en relatant les motifs de leur plainte et en insistant sur l'existence et la teneur des différents actes de la procédure tendant à en justifier le bien-fondé, les commentaires qui complètent le compte-rendu de ces actes pouvant apparaître, hors de toute dénaturation ou adjonction, comme découlant logiquement et directement du contenu et de la portée de tels actes de procédure ;

Attendu que les mêmes conclusions s'imposent, pour les mêmes motifs, s'agissant des propos tenus par Monsieur B. G. dans une interview publiée dans l'édition du PARISIEN en date du 22 mai 2001 ;

que le défendeur - auquel le titre de l'article, “Abus de confiance”, ne peut être imputé - s'est, en effet, contenté, une nouvelle fois, à la suite du dépôt du rapport de l'expert judiciaire, d'insister sur le sérieux de la plainte en se référant aux premières conclusions de ce rapport d'expertise et aux précédents actes de la procédure d'instruction, sans formuler un quelconque préjugement de culpabilité des demandeurs à la présente instance ;

Attendu que l'atteinte à la présomption d'innocence alléguée par ces derniers n'est donc pas caractérisée ; qu'il y a donc lieu, dans ces conditions, de les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

Par ces motifs

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier resssort,

rejette l'exception de prescription soulevée par l'Associtation SOS PRINCIPES AFER et B. G. ;

DEBOUTE G. A. et A. L. S. de l'ensemble de leurs prétentions ;

Les CONDAMNE solidairement à payer à chacun des défendeurs la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris, le 3 juillet 2002.