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Conseil constitutionnel - Décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000
Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication
Extraits concernant les dispositions relatives à la responsabilité des prestataires techniques

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 30 juin 2000, par MM. José ROSSI, Philippe DOUSTE-BLAZY, Jean-Louis DEBRÉ, Mme Nicole AMELINE, M. François d'AUBERT, Mme Sylvia BASSOT, MM. Jacques BLANC, Pierre CARDO, Antoine CARRÉ, Pascal CLÉMENT, Georges COLOMBIER, Bernard DEFLESSELLES, Francis DELATTRE, Dominique DORD, Franck DHERSIN, Laurent DOMINATI, Charles EHRMANN, Nicolas FORISSIER, Claude GOASGUEN, Gilbert GANTIER, Claude GATIGNOL, François GOULARD, Pierre HELLIER, Philippe HOUILLON, Denis JACQUAT, Aimé KERGUERIS, Pierre LEQUILLER, Michel MEYLAN, Alain MADELIN, Jean-François MATTEI, Alain MOYNE-BRESSAND, Yves NICOLIN, Paul PATRIARCHE, Bernard PERRUT, Jean PRORIOL, Jean ROATTA, Joël SARLOT, Jean-Pierre SOISSON, Guy TEISSIER, Gérard VOISIN, Jean-Pierre ABELIN, Pierre ALBERTINI, Pierre-Christophe BAGUET, Jean-Louis BERNARD, Mmes Marie-Thérèse BOISSEAU, Christine BOUTIN, MM. Loïc BOUVARD, Dominique CAILLAUD, Renaud DONNEDIEU de VABRES, Jean-Pierre FOUCHER, Germain GENGENWIN, Hubert GRIMAULT, Patrick HERR, Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE, MM. Jean-Jacques JÉGOU, Christian KERT, Edouard LANDRAIN, Jacques LE NAY, Maurice LIGOT, Pierre MÉHAIGNERIE, Pierre MENJUCQ, Pierre MICAUX, Hervé MORIN, Henri PLAGNOL, Jean-Luc PRÉEL, Gilles de ROBIEN, François ROCHEBLOINE, Rudy SALLES, François SAUVADET, Pierre-André WILTZER, Bernard ACCOYER, André ANGOT, Philippe AUBERGER, Pierre AUBRY, Mme Martine AURILLAC, MM. Richard CAZENAVE, Henri CHABERT, Jean-Marc CHAVANNE, Olivier de CHAZEAUX, Patrick DEVEDJIAN, Jean FALALA, François FILLON, René GALY-DEJEAN, Jean de GAULLE, Jean-Claude GUIBAL, Jacques KOSSOWSKI, Pierre LASBORDES, Thierry LAZARO, Patrice MARTIN LALANDE, Pierre MORANGE, Jacques MYARD, Jean-Marc NUDANT, Serge POIGNANT, Jean-Luc WARSMANN, Marie-Jo ZIMMERMANN et M. Jean RIGAUD, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ;
Vu les observations complémentaires présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 18 juillet 2000 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 19 juillet 2000 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;


1. Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et contestent en particulier, en tout ou en partie, la conformité à la Constitution des articles 8, 15, 38, 58, 60, 65, 66, 71 et 72 ;

- Sur la procédure législative :

En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 39 de la Constitution :

2. Considérant que, selon les députés requérants, la lettre rectificative d'où sont issues certaines dispositions de la loi déférée n'aurait pas été soumise au Conseil d'Etat, en méconnaissance des dispositions de l'article 39 de la Constitution ;

3. Considérant qu'une lettre rectificative signée du Premier ministre constitue, non un amendement apporté par le Gouvernement à un projet de loi sur le fondement du premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, mais la mise en œuvre du pouvoir d'initiative des lois que le Premier ministre tient du premier alinéa de l'article 39 de la Constitution ; qu'aux termes du second alinéa de cet article : « Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées… » ;

4. Considérant que le dépôt d'une lettre rectificative sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 21 avril 1999, a été précédé de la délibération du Conseil des ministres en date du même jour et de l'avis du Conseil d'Etat rendu le 15 avril 1999 ; que, dès lors, le moyen manque en fait ;

En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance des règles régissant le droit d'amendement :

5. Considérant que, selon les requérants, un nombre élevé de dispositions, notamment celles instituant un régime juridique propre aux services de radiodiffusion sonore et de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique, est issu d'amendements qui outrepasseraient, par leur ampleur, les limites du droit d'amendement ;

6. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, s'exerce librement sous réserve des limitations posées aux deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 45 de la Constitution ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître le premier alinéa de l'article 39 et le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, ni être sans lien avec ce texte, ni dépasser, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement ;

7. Considérant que les amendements critiqués par le recours ont été adoptés, en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, avant la réunion de la commission mixte paritaire ; qu'au demeurant, des amendements portant sur les mêmes sujets avaient été présentés au Sénat en première lecture ; que les dispositions en cause présentent toutes un lien avec le texte en discussion dont le but était, dès l'origine, de modifier dans son ensemble la législation sur la communication audiovisuelle ; qu'elles n'excèdent pas, par leur objet ou leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement ; qu'ainsi le grief doit être rejeté ;

- Sur les normes de constitutionnalité applicables :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » ;

9. Considérant que le pluralisme des courants d'expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent les moyens de communication audiovisuels n'était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur privé que dans celui du secteur public, de programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractère différent dans le respect de l'impératif d'honnêteté de l'information ; qu'en définitive, l'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 précité soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché ;

10. Considérant qu'il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de concilier, en l'état de la maîtrise des techniques et des nécessités économiques d'intérêt général, l'exercice de la liberté de communication résultant de l'article 11 de la Déclaration de 1789 avec d'une part, les contraintes inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et de ses opérateurs et d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels, auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte ;

(…)

- Sur l'article 1er de la loi :

57. Considérant que l'article 1er de la loi déférée insère dans le titre II de la loi du 30 septembre 1986 susvisée un chapitre VI intitulé : « Dispositions relatives aux services de communication en ligne autres que de correspondance privée » et comprenant les articles 43-7 à 43-10 ;

58. Considérant qu'il résulte de l'article 43-8 que « les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services » ne peuvent voir leur responsabilité pénale ou civile engagée à raison du contenu de ces services que dans deux hypothèses ; que la première vise le cas où « ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu » ; que la seconde est relative à la situation où « ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu'elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n'ont pas procédé aux diligences appropriées » ;

59. Considérant qu'il y a lieu de relever que l'article 43-9 inséré dans le nouveau chapitre VI du titre II de la loi du 30 septembre 1986 par l'article 1er de la loi déférée impose par ailleurs au prestataire d'hébergement « de détenir et de conserver les données de nature à permettre l'identification de toute personne ayant contribué à la création d'un contenu des services » dont il est prestataire ;

60. Considérant qu'il est loisible au législateur, dans le cadre de la conciliation qu'il lui appartient d'opérer entre la liberté de communication d'une part, la protection de la liberté d'autrui et la sauvegarde de l'ordre public d'autre part, d'instaurer, lorsque sont stockés des contenus illicites, un régime spécifique de responsabilité pénale des « hébergeurs » distinct de celui applicable aux auteurs et aux éditeurs de messages ; que c'est toutefois à la condition de respecter le principe de la légalité des délits et des peines et les dispositions de l'article 34 de la Constitution aux termes desquelles : « La loi fixe les règles concernant : … la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables… » ;

61. Considérant qu'en l'espèce, au troisième alinéa du nouvel article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, le législateur a subordonné la mise en œuvre de la responsabilité pénale des « hébergeurs », d'une part, à leur saisine par un tiers estimant que le contenu hébergé « est illicite ou lui cause un préjudice », d'autre part, à ce que, à la suite de cette saisine, ils n'aient pas procédé aux « diligences appropriées » ; qu'en omettant de préciser les conditions de forme d'une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;

62. Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de déclarer contraires à la Constitution, au dernier alinéa de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi déférée, les mots « -ou si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu'elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n'ont pas procédé aux diligences appropriées » ;

63. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution ;

Décide :

Article premier

Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi déférée modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication :
- à l'article 1er, l'alinéa ainsi libellé : « -ou si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu'elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n'ont pas procédé aux diligences appropriées » ;

(…)

Article 2

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 juillet 2000, où siégeaient : MM. Yves GUÉNA, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M. Pierre MAZEAUD et Mmes Monique PELLETIER et Simone VEIL.